Chamboulons les chambranles
Dans le petit cadre où s’insèrent les fenêtres de nos compréhensions, nous nous activons, nous ajustons nos raisonnements et combinons quelques idées, quelques opinions en synthèse, à l’air intelligent. Mais en élargissant l’entour de nos chambranles, nous pénétrons un monde plus grand, une aire d’exploration plus vaste qui invite à d’autres découvertes.
Oser l’aventure plonge dans des profondeurs de champ qui révèlent un espace infini dans lequel tout s’insère. Tout ce qui se dit, tout ce qui s’écrit, tout ce qui se dessine, tout ce qui se conçoit ne s’appréhende que sur une trame visible ou transparente. Car il n’y a pas de forme sans fond, pas d’idée sans esprit, pas d’émoi sans ressenti, pas de relatif sans absolu, pas de rien dans le tout et pas de vrai pour l’éternité, puisque nos angles de vue restent bornés par nos multiples références.
Alors, pourquoi s’arc-bouter sur un vécu au cœur des seuls contours de nos perceptions ?
Pourquoi défendre une vision avec véhémence, lorsqu’on la sait tributaire de nos capacités d’entendement ?
Pourquoi refuser de considérer l’optique d’un monde beaucoup plus grand que nous ?
Pourquoi, pourquoi ? La question ne doit pas conduire à ne plus défendre un point de vue, mais plutôt à entendre tous les points de vue qui viennent dire quelque chose du tout, quelque chose d’adapté ou d’inadapté, quelque chose de plus ou moins déformé, mais quelque chose qui est une part de réalité qui cherche à comprendre un réel qui nous échappe encore grandement.
Apprendre et réaliser que le réel ne s’approche qu’en ouvrant nos cadres, conscients du fond sur lequel tout s’inscrit, permet de se faire explorateurs d’une vie dans laquelle tous évoluent. Car ce n’est pas en nous isolant dans les limites de nos carrés privés que nous visitons le réel.
L’Espace n’a pas de frontières.
L’Espace n’a pas de frontières, mais nous défendons mordicus nos espaces de pensée, nos espaces d’avoir et nos espaces de ressenti.
L’Espace n’a pas de frontières, mais nous le traitons d’une façon parcellaire, justifiant nos œillères en distinguant espace et Espace.
Or, tout dans l’Espace propose de passer de la minuscule à la majuscule, d’une vision particulière à une vision commune, de l’apparence à la cause, de la certitude qui cherche à se garantir des peurs, à cette absolue nécessité de s’offrir au nouveau, pour sans cesse découvrir plus avant ce réel qui échappe et que nous ne regardons pas toujours tant il donne le vertige.
Les cadres de nos ordinaires, accrochés au mur d’une géographie personnelle et collective enferment individus, sociétés dans des tableaux qui s’appliquent à représenter l’essence telle une part d’existence.
Soyons conscients de ces confins pour relativiser nos points de vue, remonter au réel qu’ils traduisent, débusquer les craintes qui les déforment, et comprendre que c’est en abolissant les frontières de nos dogmes et de nos appréciations, que nous embrassons l’Espace profond dans lequel s’expriment nos spécificités.
Elles ne sont là que pour instiller dans leur condensé la liberté d’être et d’aimer que porte et insuffle l’Espace à chaque instant, à toutes les parties qu’il contient.
Chamboulons les chambranles, pour voir plus large, plus loin, plus essentiel.