Du bien mieux au bien commun
Notre habileté naturelle à remarquer la paille dans l’œil de notre voisin sans percevoir la poutre qui est dans le nôtre est tout bonnement sidérante.
Quel drôle d’aveuglement qui donne à voir chez l’autre ce que nous refusons de reconnaître en nous-mêmes ! Et lorsque sur cette cécité ignorée se greffe une couche d’orgueil, nous voilà promus au rang de juges exigeant de l’autre une probité qui nous est étrangère. Forts de notre importance affichée ou muette, nous scrutons chez lui les petits travers, sans être le moins du monde indisposés par ceux qui nous animent, nous habitent, et nous conditionnent… car les voir imposerait un changement si conséquent que nous préférons les occulter pour ne pas avoir à affronter ce qu’implique la nécessité de s’en libérer.
C’est ainsi que, pleins de bonnes intentions et de jugements péremptoires, nous exigeons volontiers de l’autre ce que nous ne sommes pas toujours capables de mettre en œuvre pour nous-mêmes. Ainsi va l’humanité sur le chemin de la compréhension qui, avant d’être aimante passe par la critique, le jugement, le dénigrement voire la condamnation de ses pairs.
L’amour est une grande histoire qui invite à l’ouverture ; mais sur la route qui conduit à demain, il se cache sur les bas-côtés, planqué derrière les bornes qui balisent le chemin tout en masquant sa véritable nature. Nous avançons pas à pas, trébuchant sur les pierres de la séparativité, les ornières de certains savoirs, dans une direction unique ; nous cheminons en ordre dispersé, pas toujours très aidants, pas toujours très aimants, jouant des coudes pour nous sentir plus.
Plus avancé, plus évolué, plus compétent, plus malin, plus mieux bien que le voisin que nous nous efforçons de dépasser pour le prendre de vitesse et nous en trouver valorisé. Mais s’il y a toujours un autre derrière nous, il y en a aussi toujours un devant ; et tous ces autres, devant, derrière, foulent le pavé vers un même devenir.
Inutile donc de planquer nos cartes pour arriver le premier, d’autant que les portes de la réussite ne s’ouvriront pleinement que lorsque tous seront arrivés. Le succès personnel est un leurre qui sert de carotte un temps, avant de se révéler comme un non-sens pour l’humanité. L’humain qui ne joue que pour lui-même, perd le sens du collectif et finit par se perdre dans le labyrinthe des égarements égoïstes, jusqu’au jour où l’horizon se montre dans une robe d’unité.
Avant d’y parvenir, il avance à tâtons dans la douleur, mais aussi dans les délices de l’importance du moi. Car si le prestige personnel n’était pas délicieux, nul n’en éprouverait l’overdose, nul n’arriverait à cette indigestion du « moi je » qui sait mieux, qui voit mieux, qui pense mieux que le voisin.
Ainsi au royaume du mieux, il est le mieux, mieux, mieux qui se perd dans les multiples répétitions d’un mieux dont il sort épuisé pour découvrir que le mieux est parfois l’ennemi du bien. Alors, le mieux pour soi se troque pour le bien commun qui trace un chemin d’entraide, un chemin d’entraime, un chemin de reconnaissance mutuelle.
Bien, bien bien ; bien mieux, non ?