Fantômes et revenants

 In La rubrique de Frédérique

 

Il n’y a pas que les défunts qui peuvent hanter les pensées. Il n’y a pas que les morts qui reviennent inlassablement s’insinuer dans les mémoires. Il y a aussi tous nos attachements, tous nos conditionnements, toutes les histoires vraies ou fictionnées qu’on raconte sur le parcours conscient qui précède l’instant. Même sans le drap blanc qui leur donne forme, nos fantômes ne lâchent pas la bataille du souvenir.

Car le passé nous colle à la peau, aux émois, aux idées. Il colle à l’espoir comme au désespoir et s’invite incognito dans les trajets de l’existence. C’est un revenant permanent qui vient, sans dire son nom, orienter nos faires et nos réactions en tous genres. Les cadavres dans le placard que certains cherchent à masquer en les enfouissant au fin fond d’armoires bien cadenassées ont une odeur ; une odeur de « tu n’as pas nettoyé l’histoire des scories qui la polluent » ; une odeur saturant, l’air de rien, l’atmosphère alentour.
La mémoire est jalonnée de fantômes que nous nourrissons faute d’avoir identifié les formes qu’ils prennent pour se rappeler à notre bon souvenir. C’est ainsi que l’on se surprend à sortir des phrases héritées de vécus révolus. C’est ainsi qu’on s’entend prononcer les mots qui nous insupportaient quand d’autres nous les adressaient. C’est ainsi qu’on se drape dans des certitudes que nous aurions qualifiées hier, si d’autres nous les avaient assénés, de murs et de prison idéologique. `

Dépoussiérons, dépoussiérons nos histoires de ce qui les alourdit, de ce qui les ternit, de ce qui nous a constitué, mais qui n’est plus d’actualité.
Lâchons les revenants pour revenir au présent riche d’un avant, épuré. Lâchons les revenants, tirons leçon des expériences antérieurement proposées ; laissons-les pour ce qu’elles ont été, et avançons. À défaut, les situations fantômes se répètent à l’envi ; elles colorent sans se faire repérer les déroulés quotidiens qui ne décollent pas d’un sempiternel même, dont nous ne tirons ni gloire, ni beauté, ni lumière, ni compréhension.

À chaque instant, il importe de laisser partir nos morts, d’éteindre leur dynamisme pour léguer à hier ce qui lui appartient, vivre aujourd’hui en pleine conscience et construire un avenir léger, dégagé de ce qui n’a plus raison d’être. Nos fantômes sont multiples, ils peuplent nos rancœurs, nos bonheurs comme nos malheurs. Ils nous accompagnent tant que nous leur laissons le pouvoir. Quelle que soit l’histoire, il existe un essentiel qui se passe de ressasser les guerres, les problèmes d’un autre temps et de les cultiver, en jetant un regard dégagé sur tout ce qui date de Mathusalem.

Veillons à épurer, à reconnaître et à traiter ce qui individuellement et collectivement nous empêche d’avancer. La paix en dépend ; la nôtre, celle de nos proches et de nos lointains. De ces raffinements naîtra l’art des justes relations, l’art de s’ajuster au présent en tirant systématiquement leçon de ce qui nous est présenté pour purifier les feux follets qui n’ont plus l’occasion de le faire par eux-mêmes.
Les cimetières sont peuplés d’entités qui n’ont plus rien d’indispensable. Nettoyons le passé, pour clarifier le présent, et célébrer la vie.

Joli programme !

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