Peine perdue
Peine perdue n’est pas à retrouver, pas même à chercher ou à regretter.
Peine perdue dans les limbes de l’imaginaire, peine échappée sans crier gare, qui déserte sans prévenir pour se fondre dans un ailleurs insaisissable. Il est des peines qui s’évanouissent sans même que nous le décidions, mais il en est d’autres qui envahissent sans pourtant que nous le choisissions. Car il est des jours sans, des jours où le ronchon nous habite et nous donne le bourdon, des jours où sans vraiment savoir pourquoi, tout nous insupporte.
Et nous voilà alors, patauds au royaume du patraque sans savoir comment se sortir de ce marécage qui englue. Plombés par un air de « ça va pas », nous avançons au fil du jour, sans entrain, entravés par une lourdeur sans contours, empêtrés dans une grisaille dont la nature se refuse à toute raison, car les ronchons arrivent sans prévenir.
Ils nous surprennent en plein vol quand tout va de soi, pour venir dire qu’il se passe quelque chose dans nos contrées intérieures ; quelque chose qui tente de dire un indicible, quelque chose qui vient inscrire en lettres invisibles une proposition à découvrir, quelque chose qui peut-être cherche à mourir ou à se transformer, quelque chose qui aspire à s’alléger, en pesant lourdement, jusqu’au jour où subitement, sans signe avant-coureur, nous sautons du lit en découvrant le bel état de la peine perdue.
La lourdeur s’est dissipée discrètement et nous voilà ragaillardis et prêts à oublier cette peine qui nous a pourtant habités avec insistance. La voilà dissoute, effacée jusque dans nos mémoires. Pourtant cette peine perdue ne doit pas occulter le sens des affects qui nous traverse…
Aucune peine n’est jamais perdue ; toutes viennent dire quelque chose du travail dont nous nous acquittons, bon an mal an, sans toujours en être conscients.
Quand nous séjournons dans les mêmes ornières, ébahis de nous retrouver à la case départ après des parcours variés, il n’y a jamais de peine perdue.
Même lorsque nous ressentons nos pensées, nos paroles, nos agirs comme lettres mortes, même si nos malaises et nos malheurs nous engloutissent et semblent ne servir à rien, ils colorent nos traversées, impriment un état des lieux et encouragent un prochain pas.
Il y a des mouvements en haut, en bas, en plat ; des mouvements de vie qui incitent à comprendre le monde côté pile ou côté face, côté intérieur ou côté extérieur, côté rieur ou côté sérieux, et dans ces mouvements incessants, des liens se tissent de tous côtés sur la trame d’un vivant qui épouse l’instant sans s’y arrêter.
Peine perdue, mais quelle drôle d’expression !
Tout ce qui nous arrive de pénible ou de douloureux, tout ce qui nous agite d’espoir et de détermination, tous les efforts que nous mobilisons, rien de ces énergies ne se perd jamais ; nos peines sont des passages, des zones de chahut et d’inconfort qui jouent à cache-cache pour que nous les débusquions. Pas de peine perdue donc, mais un horizon nouveau qui ouvre peine après peine des pistes à explorer, pour continuer le voyage quels que soient les aléas du chemin.
Jamais peinard, pour finir !