Peur du noir
Oyez, oyez, braves gens. Sachez sans vous en navrer, quoi qu’on en dise, quoi qu’on en pense, qu’il est totalement inutile d’avoir peur du noir !
Car le noir a ses avantages ; il offre de multiples planques, il permet à chacun au cœur du pas vu, pas pris, de s’arranger avec ses ombres, de sélectionner les acceptables pour les élever comme écran aux plus repoussantes.
L’avantage, dans le noir, c’est qu’on n’y voit goutte ; or si l’on n’y voit goutte, le chemin qui permet de se repérer, passe par la carte imagination, ce pays où l’on donne droit de cité au vrai, au faux, au beau comme au pas beau et à tout ce qui pourrait venir s’inviter sur le tableau noir qui orne les murs des contrées noires dans lesquelles nous ne séjournons pas toujours allègrement. Inutile donc d’avoir peur du noir, car avoir peur de ce que l’on imagine, franchement, c’est un passe-temps des plus navrants.
Broyer du noir, voir tout en noir et envisager moult catastrophes pour triompher de notre mal-être présent, voilà une façon de faire habituelle, manquant sacrément de discernement.
Dans l’obscurité du mal être, on pressent parfois, ce qui n’est plus vraiment adapté à l’instant ; on ressasse, sans même s’y être préparé, de vieilles rengaines qui semblaient oubliées à jamais et on constate que l’on n’y voit pas plus clair au pays du devenir que lors des multiples tours de noir par lesquels nous sommes passés, année après année. Car le noir est un manège qui se prend toujours pour une première quand il n’est que sempiternels recommencements.
Traversée de nuit, mais dans le noir ambiant, la loupiote de l’esprit s’insinue et affirme qu’il est urgent de transcender ces sacro-saintes attaches empêchant de rejoindre des chemins de légèreté.
Traversée de nuit où tout semble peser alors qu’à y regarder de près, cela ne pèse pas plus lourd qu’hier ; la charge est la même ! Ce qui la rend plus pénible, c’est une lucidité plus aiguisée qui vient pointer encore et encore qu’au royaume de l’évolution, il s’agit de transmuter et que cela ne se fait pas sans quelques dégâts collatéraux.
Pas la peine d’avoir peur du noir, parce que c’est grâce à lui, grâce au noir, grâce à notre sombritude et grâce à la lumière aussi qui lui donne toute sa puissance que nous mesurons la profondeur et la hauteur des murs de nos prisons.
Va falloir faire des entailles, des coupes, pour inscrire sur les parois de nos incarnations quelques prises d’escalade qui permettront de nous hisser vers des sommets plus allégés. Mais pour grimper… Damned, il faut abandonner ce qui n’a plus lieu d’être. Or dans le noir, comment savoir ce qu’il faut laisser pour se délester et s’engager pleinement dans une ascension dont on ne perçoit pas toujours la nécessité ? Dans le noir, un monde de questions revisite l’existence, pour mieux nous amener à dire une nouvelle fois : stop, basta !
Quittons sans regret, les blablas noirs d’hier, engageons-nous plus légers sur un chemin où la peur du noir apprivoisée ose enfin avouer que c’est toujours au fin fond du noir que se redécouvre la lumière.
À nos interrupteurs !