Tours de passe-passe
Ne rien attendre est gage de présence, gage d’authenticité et de rapport juste. Ne pas attendre d’un autre ou d’une situation, c’est sortir du rapport marchand, du rapport d’exploitation et d’intérêt, pour entrer dans une relation où chacun, chacune sert en offrant ce qu’il est, sans ostentation, sans ménagement et en toute confiance. Sacrée aventure qui impose un oubli de soi pour que s’opère l’œuvre alchimique dans laquelle s’est engagée l’humanité.
L’humain a ceci de particulier qu’il est singulier, original, mais tout à fait commun. Tant qu’il cherche à s’élever au-dessus de la mêlée, en jouant des coudes, en voulant dépasser, surpasser ses congénères en s’appropriant au passage ce qui lui a plu chez eux, mais sans pour autant le reconnaître et tant qu’il court après une reconnaissance, il reste un prédateur. Prendre sans compter, prendre l’air de rien pour tirer profit de toutes les situations est gage d’absence, gage d’inauthenticité et de manipulation. À courir après le matériel, les conquêtes en tous genres, les connaissances, la notoriété, nous nous gorgeons comme la grenouille cherchant à égaler le bœuf.
Quand nous sommes ces grenouilles qui lorgnons côté bœuf, sans réaliser que le mirage du regardez-moi est destructeur, nous courons le risque de la démesure et de l’insatisfaction. Mais si nous ne cherchons plus à égaler tel ou tel, si nous prenons la mesure de qui nous sommes en toute humilité, alors, nous commençons à gravir le chemin du service et nous savons ce que donner veut dire.
Donner sans compter, mais sans incontinence. Donner sans compter et sans attente de retour. Donner de l’attention, de l’amour y compris à celles et ceux qui viennent se nourrir à notre source avec exigence, souhaitant avoir plus, considérant si normal de prendre qu’ils ne réalisent même pas qu’ils s’octroient l’énergie de l’autre sans aucune gratitude.
Cela permet aux offrants d’aller plus avant sur la route du détachement. L’œuvre exige notre présence, mais se passe parfaitement de notre importance.
Ainsi les avides aident les généreux à ne pas se prendre au sérieux. Ainsi les généreux aident les avides à réaliser progressivement qu’ils sont mus par le désir de briller, par le désir de dépasser, voire d’éliminer ceux qui les précèdent pour s’habiller de légitimité.
Seul compte le bien commun, mais sur la route qui mène à sa pleine réalisation, les avides doivent apprendre à devenir généreux, pas à paraître généreux ni à prôner la générosité ; ils doivent apprendre à remercier celles et ceux qui devenus généreux montrent la voie, et comprendre le ridicule d’une compétition qui n’a plus lieu d’être. Mais pour le réaliser, il faut accepter d’aimer l’autre au point de ne plus en avoir besoin.
C’est lorsque les relations ne se situent plus dans le mercantile que l’on découvre le don qui devient la faculté de s’offrir pour la réalisation joyeuse de notre réelle communauté. Adieu donc la souffrance, fruit de l’avidité et merci la vie de nous inviter à nous reconnaître comme indispensables les uns aux autres.
Aidons-nous les uns les autres, aimons-nous les uns les autres dans l’accueil de la présence. Construisons un monde sans faux semblants pour le meilleur, évidemment !